La version originale de ce blogue a été écrite par Lisa Cranston et publiée en anglais.
La mère de Jenni se gare devant l’école. Sa fille va à la maternelle depuis deux semaines et chaque jour, quand elle la dépose, la séparation est ponctuée de pleurs et de cris. Elle lui rappelle : « N’oublie pas, Jenni : pas de larmes aujourd’hui et tu auras un autocollant dans ton carnet d’autocollants. Et quand tu en auras cinq, je t’emmènerai au McDonalds. »
Les élèves de 1ère année entrent dans leur classe et posent leur agenda ouvert sur leur table afin que leur enseignant, Mr. S., puisse vérifier si leurs parents ont signé la note de la veille. Quatre de ses élèves participent à un programme d’autocollants. « Bonjour Michael », dit-il à l’un d’eux. « Essayons d’avoir une bonne journée aujourd’hui pour pouvoir ajouter un nouvel autocollant dans ton carnet ». Pour Michael, une « bonne journée » signifie rester assis à sa table et finir son travail.
Au bout du couloir, dans la classe de 5e année de Mme J., le programme d’autocollants pour encourager les élèves à lire s’adresse à l’ensemble du groupe. Pour chaque livre lu, les élèves reçoivent un autocollant. Quand leur grille d’autocollants est pleine, ils peuvent l’échanger contre un chèque-cadeau à la pizzeria du quartier.
Ce type de programmes de récompense par autocollants est problématique pour de nombreuses raisons. D’abord, ils sont fondés sur un paradigme d’autocontrôle et non d’autorégulation. Quand un adulte utilise un système de récompense par autocollants, il part du principe que l’enfant a un contrôle total de son comportement et qu’il choisit parfois de ne pas adopter le comportement souhaité alors qu’il pourrait le faire s’il le voulait. Le rôle de l’adulte consiste alors à encourager et récompenser les comportements appropriés. L’idée est que si l’adulte récompense le comportement souhaité avec des autocollants et d’autres modes d’encouragement, l’enfant s’efforcera de manifester les comportements désirés et de réprimer les comportements indésirables. On espère que l’enfant finira par développer une plus grande volonté et sera un jour en mesure de contrôler totalement son comportement.
Dans le cadre de l’autorégulation, nous commençons toujours par examiner le comportement que nous observons afin de déterminer s’il s’agit d’un mauvais comportement ou d’un comportement de stress. Un mauvais comportement est contrôlé par l’enfant ; le cortex préfrontal est aux commandes. Mais un enfant qui présente un comportement de stress n’est pas en mesure de le contrôler : c’est le système limbique qui contrôle l’enfant et son comportement. En tant qu’adulte, notre rôle est de conférer notre calme aux enfants, d’utiliser notre connaissance de l’autorégulation pour soutenir l’élève, de l’aider à éteindre ces alarmes limbiques et de coréguler avec lui à mesure qu’il développe ses propres compétences en matière d’autorégulation.
Jenni, par exemple, s’installe généralement dans la routine de classe quelques minutes après son arrivée : l’enseignant, l’EPE et le parent peuvent travailler ensemble pour déterminer les facteurs de stress qui l’affectent chaque jour au moment de son arrivée et comment les réduire. Ils vont conférer leur calme à Jenni et coréguleront avec elle pendant la période d’arrivée, jusqu’à ce qu’elle soit capable de s’autoréguler pendant cette transition.
En tant que parents et éducateurs, nous devons également réfléchir à nos attentes vis-à-vis des enfants. Quand un enfant manifeste des comportements de stress, il nous signale peut-être que nos attentes sont trop élevées pour lui. Réduire les facteurs de stress peut impliquer de modifier notre programme ou nos routines. Si nous demandons à de jeunes enfants comme Michael de rester assis trop longtemps, d’écouter trop longtemps ou de remplir trop de feuilles de travail, aucun autocollant ne suffira à le motiver s’il n’est pas prêt au niveau de son développement. Ces attentes créent du stress dans de multiples domaines chez les élèves comme Michael
Peut-être devrions-nous plutôt repenser notre programme. Comment pouvons-nous le rendre mieux adapté au développement de l’enfant ? Au lieu d’une feuille de travail où l’enfant doit encercler toutes les images qui commencent par « B », nous pouvons demander aux élèves de partir à la chasse au trésor pour trouver des objets dans la classe qui commencent par « B ». Au lieu de découper les images d’une histoire et de les coller dans l’ordre, nous pouvons leur faire raconter l’histoire en séquences avec des marionnettes, des morceaux de feutre ou avec des acétates sur la table lumineuse ou le rétroprojecteur. En réduisant les facteurs de stress à travers les domaines, les élèves sont à même de révéler toute l’étendue de leur apprentissage et de leur compréhension.
Il a été démontré que les encouragements à la lecture destinés à l’ensemble de la classe, comme le programme-pizza utilisé par Mme J., ont un impact négatif sur l’attitude des élèves vis-à-vis de la lecture. (Cunningham, 2005 ; Kohn, 1999). Quand nous incitons un comportement, nous courons le risque d’éteindre une motivation intrinsèque préexistante. Au lieu de cela, nous pouvons chercher à réduire les facteurs de stress pour les élèves qui semblent être des lecteurs réticents. Certains élèves peuvent avoir besoin d’un autre type de siège (au lieu de lire assis à leur table, ils préfèrent peut-être s’allonger sur le tapis de la classe, lire assis sur un siège à roulettes, une chaise oscillante ou un coussin mou). Certains élèves ont besoin de trouver un coin tranquille ou de mettre des écouteurs pour réduire les distractions, alors que d’autres préfèrent la lecture comme activité sociale. Une fois par semaine, mes élèves de 3e année pouvaient lire avec un partenaire ou en petit groupe : certains des lecteurs les plus réticents sont tout à coup devenus les plus enthousiastes.
Une autre stratégie visant à réduire les facteurs de stress des lecteurs réticents consiste à leur offrir un éventail de genres et à leur montrer que la lecture de genres différents est non seulement acceptable mais souhaitable. De nombreux élèves du primaire et du premier cycle du secondaire (de la maternelle à la 6e année) considèrent la lecture de livres à chapitres comme « la vraie lecture ». Mais pour certains élèves, le type de lecture requis par les livres à chapitres (lecture soutenue, du début à la fin) est un facteur de stress cognitif. Certains lecteurs préfèrent les livres où ils peuvent se plonger sans avoir à les lire en entier du début à la fin, comme les livres non fictionnels, les livres de blagues, les livres de données et de listes ou les recueils de poésie.
En considérant le comportement sous l’angle de l’autorégulation plutôt que celui de l’autocontrôle, nous déplaçons notre regard sur l’enfant : nous cessons de voir un enfant qui ne veut pas ou ne peut pas, pour voir un enfant qui a besoin d’être aidé et soutenu par les adultes dans sa vie pour développer des compétences et des stratégies d’autorégulation. Pour l’adulte, c’est un rôle bien différent de celui qui consiste à distribuer des punitions et des récompenses, y compris des autocollants.
Comprenez-moi bien : les autocollants sont amusants et mon propos n’est pas que les enseignants et les parents ne devraient jamais en donner aux enfants. Mais nous devons réfléchir et choisir quand et pourquoi nous les utilisons. Le mois dernier, j’ai reçu un autocollant après avoir fait don de mon sang ; je l’ai porté fièrement le reste de la journée. Mais je ne donne pas mon sang pour recevoir un autocollant ; je donne mon sang parce que cela me fait du bien d’aider les autres. Je le fais pour la récompense intrinsèque, pas pour l’autocollant. Pour nos élèves, la récompense intrinsèque consiste peut-être à se sentir calme ou régulé, ou encore à se plonger dans un bon livre. C’est peut-être le sentiment de maîtriser un nouveau concept, de devenir un lecteur plus expérimenté ou un meilleur mathématicien. Créer une culture qui considère le comportement sous l’angle de la compassion, de l’empathie et de l’autorégulation aidera les élèves à atteindre leur plein potentiel en tant qu’apprenants, tout en développant leurs propres stratégies d’autorégulation, ce qui dépasse de loin tout ce qu’un programme d’autocollants pourrait jamais accomplir.
Références
Cunningham, P. (2005). If They Don’t Read Much, How They Ever Gonna Get Good?. The Reading Teacher, 59(1), 88–90.
Kohn, A. (1999). Punished by rewards : the trouble with gold stars, incentive plans, A’s, praise, and other bribes. Houghton Mifflin Co.
Lisa Cranston a plus de trente ans d’expérience comme éducatrice dans le sud-ouest de l’Ontario. Elle a consacré les onze dernières années de sa carrière dans l’éducation, à titre de conseillère pédagogique pour la maternelle et le primaire, et a dirigé la mise en place de la maternelle à temps plein pour son conseil scolaire de 2010 à 2015. Aujourd’hui à la retraite, elle est animatrice de cours en ligne pour le Centre MEHRIT. Pour Lisa, Shanker Self-Reg® a changé sa façon de regarder à la fois son propre comportement et celui d’autrui ; son objectif est d’aider les autres à « conférer leur calme » à ceux qui les entourent.